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Les canons de l'icône et leur but

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Si représenter le Dieu-homme s'avère déjà une tâche redoutable. toute représentation de l'homme, créé à son image, requiert un soin particulier. Fausser les traits entraîne le risque de tomber dans la caricature. Bafouer l'image de l'homme est une offense à Dieu. D'où l'exigence envers les iconographes de se conformer à un ensemble de canons, guides et garde-fous à la fois, garants d'une continuité et d'une unité doctrinale par-delà les frontières. Définis canoniquement. le thème et le symbolisme de l'icône sont donnés à l'iconographe. Différent de l'art profane où le symbolisme s'exprime par allégorie, le thème de l'icône ne résulte ainsi pas d'une cogitation intellectuelle car il révèle spontanément le mystère désigné qui ne se comprend que de l'intérieur, levant un coin du voile de la Réalité spirituelle au-delà de toute formulation verbale.

Le symbolisme secondaire ayant trait aux détails majeurs de l'icône se comprend aisément. Ainsi en est-il du mouvement des mains indiquant la prière, notamment dans l'icône de la Déisis, avec la Mère de Dieu et Jean-Baptiste, ou des martyrs tenant une croix dans la main. fondement de leur témoignage.

Le mode vestimentaire des personnages est fixe, comme de nombreux autres détails. Selon le septième concile œcuménique, en 787 :

Du peintre dépend seulement l'aspect technique de l'œuvre, mais tout son plan, sa disposition, sa composition appartiennent et dépendent d'une manière très claire des saints Pères.

Cela dit, le rôle des saints Pères ne saurait être surestimé. Leur intérêt majeur ne porte pas sur le sujet représenté mais sur la façon, le comment de la représentation et c'est là que l'iconographe jouit d'une grande liberté créatrice.

Ni le Père, ni l'Esprit, ni la Sainte Trinité en tant que tels ne peuvent être représentés, proclament avec fermeté le Concile moscovite des Cent Chapitres (1551) et le suivant au même endroit (1666- 1667). Interdiction malheureusement trop souvent ignorée par la suite ! L'Esprit s'est uniquement manifesté sous la forme d'une colombe au Jourdain. Lors de la Transfiguration du Christ, il se signale comme nuée et à la Pentecôte sous la forme de langues de feu. Les archevêques et évêques ont mission de « veiller sur les peintres d'icônes et de contrôler leurs œuvres », voire de désigner une personne ou un comité compétent dans ce domaine.

Les premiers modèles sont érigés en exemples, de même que les œuvres des grands iconographes, ainsi en va-t-il de L'hospitalité d'Abraham de Roublev, symbole de La Trinité.

Les iconographes disposent ainsi progressivement de manuels riches en indications précises sur la manière de peindre et de représenter les saints. Le plus célèbre, attribué au moine athonite Denis de Fourne, a été réalisé au XVII° siècle à la demande des moines de !'Athos.

En tant qu'orientation spirituelle de la vie chrétienne et de la prière qui lui est inhérente, l'iconographie est longtemps restée l'apanage des moines. Rien de plus naturel puisque le monastère constitue le creuset de la vie spirituelle. Par son vœu d'obéissance, le moine se conforme en outre plus facilement aux directives édictées. Il vit dans l'attente du Royaume au sein de la grande famille des saints.

Avant de traduire l'icône sur la planche de bois, il l'engendre en lui dans la prière, le silence et l'ascèse. Le cœur purifié, et donc aussi le regard, il peut tracer l'image d'un monde transfiguré. Voilà pourquoi l'écriture d'une icône (terme utilisé au lieu de "peinture) est un mystère toujours renouvelé.

Au terme d'une solide formation, l'élève iconographe peint en premier le Christ, puisque l'icône témoigne de l'Incarnation. Le manuel du mont Athos mentionné plus haut le convie à « prier avec larmes, afin que Dieu pénètre son âme. Qu'il aille au prêtre, afin que celui-ci prie sur lui et récite l'hymne de la Transfiguration. »

Quand les ateliers d'iconographes laïcs abondent, le concile de Moscou, cité plus haut, s'émeut de la dégradation des meurs observée dans ce milieu et décrète :

L'iconographe doit être humble, doux, pieux, ni bavard, ni rieur, ni litigieux, ni envieux, ni buveur, ni voleur : il doit observer la pureté spirituelle et corporelle.

Lorsque les influences profanes de la Renaissance deviennent par trop évidentes, le patriarche russe Nikon ordonne la destruction des icônes non-canoniques avec la menace d'excommunication envers leurs auteurs et leurs détenteurs.

Le XVII° siècle offre de nombreux exemples d'icônes purement cérébrales et strictement symboliques, telles celles intitulées : « l'œil qui voit tout », « l'œil qui ne dort pas », témoins d'un écart de la Tradition. Par leur gratuité, ces innovations discutables soulignent d'autant mieux les fondements de l'icône authentique dont le tissu est irrigué du sang de l'Église.

S'il est vrai que l'iconographe se meut dans un espace restreint, fixant certaines limites à sa créativité, il se doit d'être davantage qu'un copiste. Il lui revient de traduire sa foi, véhiculée par son talent, et cela dans l'esprit des canons qu'il prend à cœur d'enrichir et de rajeunir. Le témoignage de Maria Fortunato-Theokrètov, iconographe contemporaine, revêt ici un intérêt particulier :

La raison d'être des icônes est de servir Dieu aussi bien que les hommes. L'icône est une fenêtre à travers laquelle le Peuple de Dieu, l'Eglise, contemple le Royaume; et, pour cette raison, chaque ligne, chaque couleur, chaque trait du visage prend un sens. Le canon iconographique, formulé au long des siècles, n'est pas une prison qui priverait l'artiste de son élan créateur mais la protection de l'authenticité de ce qui est représenté. C'est en cela que consiste la Tradition. Quand nous peignons saint Pierre, saint Paul saint jean Chrysostome, saint Séraphin et tous les autres saints, nous voulons être certains de les peindre dans la tradition de l'Église, tels que l'Église les connaît et les préserve dans sa mémoire vivante. Il n'y a donc pour nous aucune raison de changer le visage d'un saint ou un de ses attributs, le type de son vêtement ou sa couleur. Il n'y a pas non plus la moindre raison de changer le style de la représentation, tant que nous n'avons pas trouvé de meilleur moyen d'exprimer en peinture un corps devenu le véhicule de l'Esprit Saint. Les Byzantins ont réussi à mettre au point la formule appropriée que nous connaissons et, jusqu'à présent, toutes les autres tentatives pour exprimer l'idée d'un corps transfiguré ont échoué ... Tant que la liturgie orthodoxe est fondamentalement byzantine, il serait inconcevable que son art visuel soit d'expression différente (extrait d'une conférence).

Malgré les différences notoires de style entre les époques, les "écoles" (une quarantaine dans le seul domaine russe : Novgorod, Pskov, Moscou, Yaroslav, Tver, Stroganov, etc.) et les iconographes, la technique byzantine est restée la même et témoigne d'une grande unité. On ne rencontre pas deux icônes identiques et les fidèles identifient naturellement chaque fête et saint(e).

L'art en tant que tel relève de l'indicible. Il n'est pas à proprement parler d'art profane mais on rencontre de l'art "profané". L'icône constitue indéniablement un sommet de l'art sacré. La mise en relief de sa spécificité requiert de dégager les critères de son authenticité, tant au niveau de la forme que du contenu. Cette étape indispensable permet de distinguer l'œuvre d'art transfiguratif de toute production, même au thème sacré, qui usurpe le nom d'icône.

Si Marc Chagall et Paul Klee offrent l'exemple d'une quête de la réalité invisible à travers un langage pictural empreint de poésie, leur art n'est pas théologique comme l'est celui de l'icône.

Dans la peinture courante, l'œuvre originale et de valeur reflète la personnalité de l'artiste. Elle matérialise en quelque sorte sa pensée, sa vision du monde. La reconnaissance par le public requiert des créations nouvelles et l'effort de l'artiste tend constamment à l'innovation et au dépassement. Les expositions savamment orchestrées vont de pair avec une forme de publicité.

L'iconographe nourrit son art à partir de la Tradition et de l'enseignement de l'Église. Au terme d'un travail ardu, il lui revient de s'incliner et de s'effacer devant le personnage représenté qui l'interpelle et le dépasse. L'attitude requise est celle de Jean-Baptiste, le Précurseur, qui confesse : « II faut que Lui grandisse et que moi je décroisse » (Jn 3, 30). Attitude aimante et attentive par excellence ! Conséquence logique, l'iconographe ne devrait pas signer ses œuvres pour trois raisons au moins : son nom est synonyme de sa personnalité qui doit se mettre en retrait. Deuxièmement, l'icône est réalisée d'après la Tradition et des documents ne lui appartenant pas. Quant à l'inspiration, elle vient du Saint-Esprit.

Les iconographes grecs contemporains qui signent leurs icônes éludent le problème en faisant précéder leur nom de la mention : «Par la main de ... ». Ils soulignent ainsi la primauté de leur ministère ecclésial tributaire de l'intervention divine.

Si certains artistes signent leurs œuvres par l'introduction dans le tableau d'un élément pictural permettant de les identifier, cette procédure n'est pas admise pour l'icône, car celui qui prie devant elle ne saurait être ainsi distrait. Il est également requis de l'iconographe d'évacuer de l'icône ses sentiments et ses émotions pour ne pas les imposer aux autres et faire ainsi écran. Acte héroïque d'une diaconie !

Ouvrages concernés