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La voie royale - Saint Nil de Calabre

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4. Un jour, sans révéler son secret à personne, il alla trouver certaines personnes qui lui devaient une forte somme d'argent et il leur dit : «J'ai trouvé une vigne et je dois l'acheter.» Ils lui donnèrent autant d'argent qu'ils purent et, leur abandonnant le reste de la somme due, Nil quitta la région, alors que la maladie le tyrannisait. Un moine, nommé Grégoire, l'accompagnait et lui indiquait la route qui menait aux monastères. Nil arriva ainsi devant une rivière. Quand il entra dans l'eau pour la traverser, il sentit la puissance de Dieu qui l'accompagnait, qui l'aidait et le dirigeait vers ce que lui-même (saint Nil) désirait. Environ à la moitié de la rivière, sa maladie le quitta, comme s'il déposait un pesant fardeau.

Arrivé aux monastères du mont Mercure, il vit ces hommes célestes qu'étaient les moines et demeura tout interdit, les yeux pleins de larmes, tandis qu'un zèle divin commençait à le brûler. Et eux, voyant l'esprit d'un vieillard dans un corps jeune, un cœur droit et un caractère facile, percevant avec leur regard doué de clairvoyance que la grâce du Saint-Esprit allait se développer grandement en lui, ils le comblèrent de leurs bénédictions et le soutinrent de leurs prières.

Peu de temps s'était écoulé quand les moines reçurent du gouverneur de la province une missive conçue en termes violents et destinée à quiconque oserait tonsurer moine un tel clerc (Nil avait été ordonné lecteur): on lui couperait la main et les biens de son monastère seraient confisqués. Les supérieurs des monastères, effrayés, prirent alors la décision d'envoyer Nil dans une autre région pour y revêtir le saint habit monastique. Ainsi ils se préserveraient de la colère des autorités.

Sans révéler son secret. Sans aucune hésitation possible, nous pouvons interpréter le mot secret dans son sens théologique : le secret si cher à notre saint, c'était Dieu lui-même dont l'image était inscrite dans son cœur, ainsi que son désir de renoncer au monde et l'espérance de son engagement dans une vie nouvelle.

Cachant donc dans son cœur le secret le plus cher de sa vie: son désir de Dieu, Nil se rend chez ses débiteurs. Nous apprenons par ce détail que saint Nil n'était pas libre. Il était riche, la gestion de ses biens l'accaparait. Comment a-t-il pu les abandonner, délaisser sa femme, sa fille? Il n'y a qu'une seule réponse à cette question : « Toi seul le sait, Seigneur»; Nil avait tout abandonné entre les mains de Dieu. Il dit à ses débiteurs : «J'ai trouvé une très belle vigne et j'ai besoin d'argent pour l'acheter.» Sous le voile de cette parabole, il leur dissimule, d'un côté, son projet, parce qu'ils n'étaient pas en mesure de comprendre ce qu'il avait l'intention de faire et ils se seraient moqués de lui, mais, d'un autre côté, il révèle ce qu'il croit et ce qu'il a dans le cœur. Il leur dit en réalité : «Je ne peux demeurer parmi vous. Dieu a placé devant moi une vigne immense, un paradis et je ne peux rien faire d'autre sinon le faire mien, autrement je ne pourrai vivre.»

Nous voyons ici prendre forme la séparation de l'homme d'avec le monde et la possibilité de son entrée dans un autre monde. Même s'il vit dans le monde, celui qui appartient à Dieu est finalement à part, comme l'était saint Nil. Rien ne pouvait le séduire, le satisfaire, pas même sa femme ni la moindre chose. Et cette moindre chose peut être un avis, une idée. Même le désir le plus pur se serait opposé à ce que le saint recherchait au moyen de la très belle vigne. Il n'y a aucun bien sur terre pour l'homme de Dieu. Son seul bien est son élévation au-dessus de tout bien.

Saint Nil prit seulement l'argent dont disposaient ses amis et il leur abandonna le reste. Le biographe suit saint Nil pas à pas, restituant toutes les facettes de sa personnalité et révélant la main de Dieu qui œuvre en lui. Désormais libéré de tout souci, ne prenant avec lui que sa maladie, comme quelqu'un prend son bâton, il se met en marche. Saint Nil était également libre vis-à-vis de sa maladie, parce qu'il l'avait remise à Dieu; il ne s'en souciait pas, elle était simplement sa compagne. Supposons que la maladie l'ait quitté avant son départ, serait-il parti? Aurait-il pu atteindre le degré de sainteté auquel il est parvenu sans la maladie qui le suivra toute sa vie?

Un saint est un homme comme tous les autres hommes. Il est soumis aux mêmes lois, à la même corruptibilité. Nous dirions qu'il vit entre la corruption et l'incorruptibilité, d'une part, parce que ses pieds foulent la terre et qu'il est sans cesse attiré par elle, d'autre part, parce qu'il vit Dieu. Un saint est un homme qui sait aimer, comme saint Nil a aimé. Il sait attirer, comme notre saint attirait les hommes, il peut être attiré comme saint Nil fut attiré par la beauté féminine. Le saint est quelqu'un qui peut vivre dans le monde sans trouver en celui-ci de points communs avec lui-même.

Dieu prend cet homme et le met hors des lois de la nature. Avec des moyens très simples il lui dit: « Viens, suis moi"». Le «quitte ton pays, ta parenté» est une prophétie écrite pour chaque homme, à toutes les époques. La nature humaine, soumise à l'esclavage du péché et de la corruption depuis la chute d'Adam - à laquelle la création participe, gémissant et souffrant -, est appelée par Dieu. Dieu a placé, une fois pour toutes, l'homme dans son Église pour qu'il Lui appartienne.

Et c'est là que se cache le mystère de Dieu qui poursuit l'homme, mais également celui de l'homme qui joue sans défiance. Car ce que l'homme fait en dehors de la recherche de Dieu est un jeu et, de plus, un jeu dangereux, puisque même la plus petite chose l'amène à se plaire dans le monde et à l'aimer ; par conséquent, son cœur et son intellect se séparent de Dieu.

Saint Nil n'est pas parti tout seul pour le monastère: un moine l'accompagnait. Un moine du nom de Grégoire, qui se trouvait dans les parages, l'accompagnait. Comment s'est-il trouvé là? Dieu l'a envoyé pour «enlever» saint Nil, car on ne peut considérer que comme un enlèvement le départ du saint, comme celui de tout homme qui quitte la vie du monde. Il existe de nombreux Grégoires tels que celui qui conduisait Nil au monastère. Lequel lui montrait la route est pris selon les apparences et non selon la réalité, car celui qui montrait la route était le Christ lui-même. Saint Nil ne savait absolument pas où se trouvait le monastère et, bien qu'il l'ignorât, il avait pris la décision de s'y rendre.

En traversant la rivière, il sentit la puissance de Dieu qui l'accompagnait. Jusqu'à cet instant, il n'avait pas perçu que Dieu l'aidait. Dieu le guidait et il n'en avait pas conscience, il n'avait pas encore expérimenté sa puissance. Plus tard, la grâce de Dieu l'a visité, sans qu'il fasse toutefois quelque chose pour la gagner et sans que cette grâce se manifeste comme une merveille accomplie par Dieu.

En la personne de Nil nous voyons l'homme qui possède le désir de Dieu dans son cœur, mais qui l'ignore tout à fait. Quoi que nous fassions, le désir de Dieu se tapit derrière chacun de nos actes. Dans l'acte de manger ou de boire, même jusqu'à l'ivresse, se cache la nostalgie de Dieu. La culture d'un jardin est un souvenir de la culture du Paradis. Le nom que nous donnons à quelqu'un, nous rappelle également le nom qu'Adam a donné aux animaux et aux plantes dans le Paradis. La fréquentation des animaux rappelle aussi le Paradis à l'âme, car celle-ci ne reçoit pas sa vie présentement, elle l'a reçue dans le Paradis, c'est pourquoi elle se souvient de tout. Cette réminiscence, cette puissance de la nature humaine au Paradis, recèle la question suivante: «D'où vient l'homme?»; elle renferme la nostalgie de Dieu. L'homme cependant n'en a pas conscience.

Revenons à saint Nil. Il s'est donc mis en marche sans aucun signe de Dieu, sans aucune sensation de sa puissance. En général, Dieu se manifeste à nous d'une façon quelconque : pour l'un il opère un miracle, pour un autre il se révèle dans un rêve, à un troisième il octroie une réussite, un quatrième prie et reçoit une réponse. Pour saint Nil rien de tout cela. La seule chose qu'il emporta avec lui, c'est sa maladie.

Ce départ spontané du saint montre que celui qui agit dans l'homme, c'est Dieu. Il en est de même pour vous. Si vous voulez courir dans la voie de l'ascèse, et que vous opprimez votre être par le labeur et les veilles, dans le fond, vous ne faites rien de vous-mêmes, c'est Dieu qui vous anime. Tout a son commencement en Dieu, tout est agi par Dieu et aboutit à Dieu qui enferme tout en lui; tout est enfermé en Dieu. Nous n'avons rien à offrir pour notre salut.

Saint Nil s'est donc mis en route et il est arrivé devant une rivière. Dès qu'il pénétra dans l'eau pour atteindre l'autre rive, il sentit la puissance de Dieu qui l'accompagnait, qui l'aidait... Autrement dit, en traversant la rivière, il délaissa symboliquement sa patrie et montra sa fidélité à Dieu qui lui donna alors la première sensation de sa présence. Pour la première fois il lui dit : «Maintenant tu vas comprendre que c'est moi qui te guidais dans toutes tes actions. À présent que tu as manifesté la fermeté de ta volonté, maintenant que tu m'as montré que tu m'aimes et que rien ne te préoccupe en dehors de moi, je vais te révéler qui je suis et ce que je peux faire pour toi.»

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