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«La Maison de Dieu sur terre» du Père Michel Quenot

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Église et église

Loin d'être une métaphore illustrant notre communion avec Dieu, l'expression «Maison de Dieu» est bel et bien, faute de désincarner l'Incarnation, un édifice spirituel fait de pierres vivantes, qui s'incarne dans l'espace et le temps. Le Tabernacle et le Temple de l'Ancien Testament ont cédé la place à l'Église, nouveau lieu de la présence divine, temple spirituel de Dieu. Elle est le lieu de réunification des hommes divisés entre eux par la Chute. En revêtant notre humanité éclatée, le Dieu-homme l'a réunifiée et restaurée en sa Personne. L'Église, dont il est la Tête, constitue Son Corps mystique et participe à Sa divino-humanité, partageant du même coup Sa sainteté, bien que constituée d'hommes pécheurs.

Évitons toute confusion et malentendu en précisant d'emblée que l'église (avec un «é» minuscule), en tant que lieu où se dresse l'autel, donne à voir l'Église («É» majuscule), la manifeste au monde et y introduit les fidèles. Il y a l'église bâtiment et l'Église, réalité mystérique, à ne pas confondre avec une institution référant à une création purement humaine. En tant que corps, l'Église doit forcément s'incarner ; inscrite provisoirement dans l'espace et le temps humain, elle les dépasse par son inclusion du monde invisible. L'Église au sens fort, telle que nous l'entendons ici, implique le sacerdoce qui s'inscrit dans la succession apostolique.

Dans l'Antiquité grecque, le mot église réfère à l'Assemblée de citoyens choisis pour traiter des affaires municipales, provinciales ou nationales. Le même terme, repris par l'Église naissante, désigne à la fois l'assemblée des personnes orientées vers le même but et leur lieu de réunion, ceux que Dieu «a élus en Lui, dès avant la création du monde, pour être saints et immaculés en sa présence, dans l'amour» (Eph 1, 4).

Le livre de l'Exode parle d'assemblée et de rassemblement, lorsque Dieu choisit et réunit le peuple d'Israël au Sinaï parmi les autres peuples pour leur transmettre la Loi (Ex 19, 5-7). La même terminologie, fréquente dans l'Ancien Testament, surgit notamment dans le Deutéronome (18, 17) et dans le Premier Livre des Rois : «Puis le roi se retourna et bénit toute l'assemblée d'Israël qui se tenait debout» (8, 14).

Dans le Nouveau Testament, l'Église est à la fois l'assemblée liturgique, la communauté locale et universelle. Les Pères de l'Église voient dans cette assemblée le Corps du Christ, organisme vivant pourvoyeur de vie, avec sa propre dynamique. postérieur, l'édifice de pierre coiffé d'un toit revêt aussi une grande importance.

Dans les Ecritures, la «Maison de Dieu» renvoie donc au lieu de sa présence, tel que révélé à Jacob (Gn 28, 17) qui voit en songe une échelle dressée entre le ciel et la terre avec des anges de Dieu descendant et remontant, ou au Temple construit par Salomon (1 R 3, 1). En son temps, Jésus parle de la Maison de Son Père (Jn 14, 2) et d'une «Maison de prière» (Mt 21, 13). Dans la bouche de saint Paul, la «Maison de Dieu» réfère à l'Église (1 Tm 3, 15), Corps du Christ, qui réunit les fils et les filles adoptifs du Trés-Haut (Eph 1, 5).

Genèse et universalité de l'Eglise

Même si la descente de Esprit Saint sur les Apôtres le jour de la Pentecôte marque visiblement le commencement de l'Église, elle est en gestation bien avant. Ainsi la création des Lumières secondes que sont les anges - Lumières secondes réfléchissant la lumière divine - précède celle de la lumière physique des astres et la création des êtres sensibles. Les Pères considèrent en effet les anges comme des membres de l'Église célébrant inlassablement la gloire de Dieu en qui ils se réjouissent. Après l'Incarnation, ils se joignent à la louange des disciples du Christ et vice-versa. L'apôtre Paul écrit dans ce sens : «Vous vous êtes approchés de la montagne de Sion et de la cité du Dieu vivant, de la Jérusalem céleste, et de myriades d'anges, réunion de fête, et de l'assemblée des premiers-nés qui sont inscrits dans les cieux, d'un Dieu juge universel, et des esprits des justes qui ont été rendus parfaits» (He 12, 22-23). Et les textes de la Divine Liturgie pointent clairement sur la concélébration des anges qui entourent l'autel et s'unissent à la liturgie terrestre. Cet embryon spirituel de l'Église a trouvé son accomplissement avec la manifestation du Christ dans la chair.

Par leur communion avec Dieu, Adam et Ève vivent avant la Chute comme membres de cette Église spirituelle. Suite à leur manque de discernement dans le choix des priorités entre la création et le Créateur qui entraine la mort, le Christ restaure le flux de vie entre la terre et le ciel par Sa victoire sur la mort et Sa descente aux Enfers d'où Il libère les captifs, faisant de l'Eglise le lieu où se forge cette communion nouvelle.

Les justes de l'Ancien Testament appartiennent déjà a ce Corps dont ils ont une connaissance intérieure. Bien que sanctifiés, les Prophètes et nos ancêtres Abraham, Moise et Elie descendent dans Hadès - l'icône de la Descente aux enfers en témoigne - puisqu'à leur époque la mort n'a pas encore été vaincue.

Toute réduction de l'église à un lieu de rassemblement des chrétiens la prive de sa dimension sacrée et de son rôle de «Maison de Dieu». Le rituel de sa consécration met en évidence le lien étroit entre le Temple de Salomon et le nouvel édifice consacré, signe d'une continuité et d'un accomplissement.

Par son inscription dans l'espace, l'église joue un rôle d'interface entre ce monde et l'au-delà et manifeste la présence divine parmi les hommes. Comme le Corps du Christ dans Eucharistie est «fractionné et partagé, toujours nourriture sans jamais s'épuiser», ainsi l'Église/église, qui réunit les disciples du Christ à travers les âges, déborde sur le monde, l'inclut sans se laisser absorber par lui, lieu de communion avec Dieu et les hommes dans une rencontre personnelle, expérience simultanée du plein et du vide.

La centralité du Christ

Lorsque Jésus demande à ses disciples : «Pour vous, qui suis-je ?», Simon-Pierre répond spontanément : «Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant» (Mt 16, 15-16). Dans sa promesse d'édifier son Église comme Royaume de Dieu, le Fils de Dieu déclare alors qu'il en donnera les clefs à l'apôtre Pierre et que tous les Apôtres auront le pouvoir de lier et de délier (Mt 18, 18). Dans son aspect terrestre, il la construit sur le roc qu'est la foi de Pierre, roc qui renvoie au Dieu-homme.

Face à l'esprit pluraliste et relativiste de notre époque qui place sur le même plan les religions, toute prétention à la différence fondamentale fait crier à l'intolérance et à la discrimination. La Révélation est en outre contestée au profit de diverses révélations, réduisant du même coup le Christ à un envoyé parmi d'autres. Si un large consensus sur l'existence de Dieu existe, le Christ provoque la division en raison des conceptions fortement divergentes. Grande devient alors la tentation de le mettre en sourdine ! L'originalité de la foi chrétienne réside en ceci qu'elle ne repose pas sur quelque chose, une idéologie, mais sur quelqu'un, la personne de Jésus-Christ qui proclame : «Je suis la Vérité». Ni Bouddha, ni Mahomet, ni aucun autre chef religieux n'a jamais dit cela. Cette foi repose enfin sur le fait que Dieu s'est fait homme et qu'Il a habité parmi nous, manifestation unique de Son amour absolu et universel.

Une fois encore, nous parlons ici en tant que membre de l'Église orthodoxe. C'est donc notre foi que nous proclamons en exposant sa spécificité. Le décalage inévitable avec les convictions de plusieurs de nos lecteurs hétérodoxes ne nous autorise pas à édulcorer nos propos, car le dialogue authentique est un dialogue de vérité. Amour et vérité se côtoient, clame la Tradition ; ils sont inséparables. Que cet échange devienne une force créatrice !

Venu rassembler tous les hommes, le Christ a revêtu par Son Incarnation notre humanité et partagé notre condition. Dans cette optique, l'autre n'est plus un individu, un étranger, mais le prochain. Le salut dépend de notre relation à l'autre, de notre attitude envers lui. Saint Grégoire de Naziance en conclut que si certains semblent être dans l'Église, ils sont en réalité dehors à cause de leur manque d'amour, alors que d'autres apparemment dehors pour des raisons indépendantes de leur volonté sont dedans.

Une confusion grave existe entre Église et religion. Les diverses religions se sont concentrées sur un aspect de la divinité et du Dieu incarné : ceux qui adoraient la lumière ignoraient que le Christ se nommait lui-même Lumière; dans leur proclamation de l'unité entre l'homme et Dieu, les brahmanes hindous préfiguraient le Dieu-homme appelant ses disciples à devenir à leur tour homme-dieux et non des êtres réincarnés ; l'islam confesse la résurrection des corps et que le prophète Jésus jugera le monde ; le bouddhisme n'anticipe-t-il pas l'enseignement du Christ sur le renoncement à soi-même ? L'addition de ces potentialités et de ces intuitions ne livre pas la Vérité entière qu'est le Dieu incarné.

L'Église, Son Corps divino-humain, implique la communion de l'homme avec Dieu qui a pris à cet effet visage humain. Quand les bolcheviques désignaient ironiquement la foi chrétienne comme l'«opium du peuple», ils visaient notamment le sentiment religieux qui se traduit par des rites sans transformer l'intérieur de l'homme. Mais en forçant le trait, on pourrait retourner l'expression en disant que dans bien des cas aujourd'hui, l'opium (au sens large) tend à devenir la religion du peuple. Dans l'Église, Dieu descend par l'Incarnation vers l'homme afin de le faire entrer dans le mystère de la Sainte-Trinité.

Source de vie, l'Église n'a rien à voir avec un quelconque système idéologique. Elle a pour tâche de rappeler à l'homme sa vocation à la déification ou sainteté à travers un effort de conversion permanente qui passe par le repentir.

Jésus s'est choisi des proches, les Apôtres, qui ont reçu pour mission d'annoncer son Évangile. Il leur a envoyé l'Esprit Saint le jour de la Pentecôte qui en a fait des êtres de lumière. De simples pêcheurs, ils sont devenus des sages et des porteurs de vérité, les fondements de Son Église.

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