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Sur les monts du Caucase

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Extrait du chapitre II

Rencontre remarquable avec un starets ermite,
et début de conversation avec lui à propos de l'œuvre spirituelle.

Alors que nous nous trouvions dans cet état d'enthousiasme spirituel et que nous nous enivrions de la contemplation des merveilles déversées par la main miséricordieuse de Dieu sur la face du désert, nous tournâmes notre attention vers le bas et remarquâmes, tout étonnés, quelqu'un qui marchait au loin, portant un grand sac sur le dos. D'un pas lent et laborieux, la tête baissée, il descendait le long d'un escarpement vers les profondeurs d'une dépression calcinée. De temps à autre, nous le distinguions tout entier, lorsqu'il escaladait les collines, puis il disparaissait complètement, s'enfonçant dans les vallons situés entre elles, jusqu'à ce qu'il apparaisse à nouveau, se dirigeant droit sur nous.

Nous étions touchés en même temps qu'étonnés de voir quelqu'un dans une région aussi inhospitalière où, à ce que nous savions, personne ne pénétrait jamais, à l'exception des seuls chasseurs (et encore, pas à cette époque de l'année).
Regardant de plus près, nous vîmes qu'il s'agissait d'un moine comme nous, et nous nous en réjouîmes, espérant apprendre de lui quelque chose d'utile pour nous, vu son expérience du désert. Lorsqu'il fut proche, nous lui adressâmes le salut qui est d'usage parmi les moines:

- Bénissez-nous, batiouchka !

- Dieu vous bénisse! fut sa réponse sincère et fraternelle.

- Veuillez vous asseoir avec nous, s'il vous plaît, ajoutâmes-nous, le thé est tout juste prêt !

- Oh, c'est bien! répondit l'inconnu. Je suis tellement à bout que c'est à peine si je suis encore en vie!

- Et où Dieu vous conduit-il ? demandâmes-nous.

- Je me suis rendu au monastère de Zelentchouk pour mes besoins spirituels, et je retourne maintenant à mon désert.

Ayant dit ces paroles, l'ermite, complètement épuisé, se laissa tomber par terre de toute sa longueur, enleva son capuchon et s'étendit, la tête posée sur son sac, comme les ermites ont coutume de faire. Nous le regardâmes. C'était un ancien d'un âge déjà avancé. Son visage ruisselait de sueur, et il était tout trempé et couvert de poussière. Il s'essuya de la main, et glorifia Dieu en articulant une prière d'action de grâces :

- Gloire à toi, ô Dieu ! Gloire à toi, ô Dieu ! Gloire à toi, Dieu !

- Vous êtes épuisé, batiouchka ? Demandâmes-nous.

- Oui, je suis exténué, répondit-il. J'ai marché toute la journée, la chaleur était insupportable et je n'ai pas d'eau.

- Votre ermitage est-il encore loin ?

- Oui, à environ trois jours de marche, près d'Aksubay, à côté de la rivière Noire.

- Vous êtes nombreux là-bas ?

- Nous sommes assez nombreux.

Après s'être reposé un peu, l'ancien se redressa, et nous vîmes à nouveau, et de plus près, qu'il s'agissait d'un homme de grande taille, à la peau desséchée comme celle d'un cadavre. Une barbe abondante et grisonnante lui descendait à la ceinture. Ses cheveux étaient blancs comme la neige au sommet des montagnes, et atteignaient ses épaules. Le sommet de la tête était chauve. Sa bure était tout usée et rapiécée, et répandait une forte odeur de sueur. Son visage laissait voir une extrême maigreur, ses joues étaient creusées et ses lèvres desséchées. Malgré cela, il portait la marque d'une véritable sainteté, ses yeux rayonnaient d'un agrément inexplicable, et brillaient de bonté, de sincérité, et d'affectueuse bienveillance. Tout son extérieur forçait le respect et invitait à la franchise.

Le starets poussa vers le feu un bloc de bois qui se trouvait à proximité, et s'assit dessus pour se réchauffer.

Nous priâmes, et le starets récita la bénédiction selon l'usage des moines. Nous commençâmes à boire le thé et à manger notre pain sec. C'est alors que s'engagea entre nous un échange remarquable qui pénétra profondément mon cœur, comme il arrive habituellement lorsque nous entendons parler de sujets élevés, admirables et recherchés. J'interrogeai le starets :

- Il y a longtemps que vous vivez au désert ?

- Ma dixième année est sur le point de s'achever.

- Et où viviez-vous auparavant ?

- J'ai passé vingt ans dans un monastère.

- Lequel ?

Je m'adressai alors au starets de toute mon âme, avec joie et ferveur, et commençai à lui poser diverses questions ayant trait à la vie spirituelle.

- Pour l'amour de Dieu, mon frère, pouvez-vous nous raconter ce que vous avez acquis de meilleur dans la vie au désert ?

Le visage du starets s'illumina et une clarté spirituelle se mit à briller dans ses yeux, car l'Esprit de Dieu habite en celui qui possède un cœur simple.

Ma question avait visiblement touché au cœur de sa vie intérieure, et toute sa nature spirituelle en fut remuée. En effet, comme cet échange nous l'apprendrait, pour celui dont le cœur est uni au Nom du Seigneur Jésus-Christ, ou - Ce qui revient au même dans le vocabulaire monastique - qui possède en lui la « Prière de Jésus », le moindre rappel de cette prière produit un véritable transport spirituel.

Le starets répondit :

- J'ai reçu le Seigneur Jésus-Christ dans mon cœur, et en même temps que lui, sans aucun doute, la vie éternelle, que je suis à même de repérer sans erreur et d'ausculter dans mon cœur. Comme il est écrit dans le saint Évangile: En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes (Jn 1, 4). En plusieurs autres endroits de Écriture, cette réalité pleine de joie se trouve annoncée : Qui possède le Fils (dans son cœur, bien sûr) possède la vie, et celui qui ne possède pas le Fils de Dieu ne possède pas la vie (1Jn 5, 12). Et le Seigneur affirme à son propre sujet : Je suis le chemin, la vérité et la vie (Jn 14, 6). Ou encore : Je suis la résurrection et la vie (Jn 11, 25).

À ces paroles aussi inattendues que bouleversantes, nous comprîmes, émerveillés, que nous avions exactement trouvé ce que nous cherchions. Nous nous approchâmes du starets, l'écoutant avec plus d'attention encore, et nous fixâmes son visage, tout entiers devenus curiosité spirituelle, selon les paroles de l'Écriture : Ouvre large ta bouche, et je la remplirai (Ps 80, 11). Nos questions jaillirent comme des rivières.

- Par quel moyen ? me hâtai-je de lui demander. Et le starets de répondre:

- Par la prière ininterrompue à notre Seigneur Jésus-Christ, ce que l'on appelle généralement « Prière de Jésus ». Je l'ai pratiquée pendant de longues années, conformément à l'enseignement des saints Pères, qui m'avait été transmis en ma jeunesse par un père renommé et un maître de piété, lorsqu'à ma sortie du monde, je vins au monastère pour embrasser la vie monastique. Bien sûr, je m'efforçais en même temps d'accomplir, selon mes forces, tous les autres commandements du Seigneur, et plus particulièrement les trois les plus importants : l'amour, l'humilité et la chasteté, sans lesquels, selon le témoignage de l'Apôtre, personne ne peut voir Dieu (cf. Hb 12, 14).

- Comment cela ? demandâmes-nous, de plus en plus intéressés.

- Pendant une quinzaine d'années, répondit le starets, j'ai seulement répété oralement cette prière. C'était l'époque où je vivais au monastère, et où j'avais à me livrer à toutes sortes d'obédiences. Je me souviens qu'en priant ainsi, je n'orientais alors nullement mon attention vers l'intellect et vers le cœur. Je me contentais de prononcer les paroles : « Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi, pécheur. » Une telle prière s'appelle orale, littérale, extérieure ou corporelle. Elle représente le degré inférieur de l'ascèse de la prière, celui des débutants.

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